Mais que s’est-il passé ? Il y a moins d’un an, l’économie mondiale était à genoux, et tout le monde s’accrochait instinctivement à son job, son emploi, son gagne-pain. Quelques mois plus tard, c’est un renversement complet de situation auquel on assiste. De la Silicon Valley aux faubourgs de Shanghai, en passant par Londres, Paris ou Amsterdam, la reprise est là. Et la guerre des talents — cette difficulté à attirer et à retenir les profils à haute valeur ajoutée —, qu’on croyait un temps oubliée, repart de plus belle.
Quelles sont les causes de la guerre des talents ?
Concept énoncé dès 1997 par Steven Hankin dans un ouvrage éponyme The War for Talent, la guerre des talents est la tension sur le marché du travail entre des entreprises qui peinent à recruter et un phénomène structurel. En 2021, elle atteint même un niveau record. Selon la dernière étude Rexecode, 75 % des chefs d’entreprise déclarent rencontrer actuellement des difficultés de recrutement, dont 35 % des difficultés sévères.
Ce phénomène ne touche pas que les métiers du numérique et de l’ingénierie. Dans la construction et les transports, la situation est la même, le marché de l’emploi est extrêmement tendu. Deux causes principales émergent pour expliquer ce renouveau de la guerre des talents.
Un confinement qui en fait réfléchir certains
Les plus jeunes notamment : une étude montre que les millennials sont prêts à faire des sacrifices pour les enjeux qui leur tiennent à cœur, que ce soit en payant une prime (70 %), en partageant des produits (66 %) ou même en acceptant un salaire inférieur pour travailler dans une entreprise plus responsable.
Le CEO de Fidexpert France, cabinet d’expertise comptable et de conseil en fiscalité, témoigne : « Les attentes des candidats, jeunes et moins jeunes, ont radicalement changé en quelques années et le métier d’expert-comptable traditionnel ne fait plus rêver. Pour recruter, il faut promettre et offrir beaucoup, et la rémunération ne suffit plus. Nous avons même créé le poste de “succes financial advisor” pour rendre la fonction plus sexy et instaurer le télétravail à la carte. »
Une pénurie « mathématique »
Les baby-boomers qui partent à la retraite prématurément pour profiter de la vie laissent quelques chaises vides dans les open-spaces. Selon une étude Manpower de 2020, 69 % des entreprises européennes et américaines vont faire face à des problèmes de recrutement au cours des cinq années à venir, tous secteurs confondus, quelle que soit leur taille.
Sans compter que, dans les secteurs où la guerre du recrutement fait rage, plus de 65 % des salariés pensent changer de métier dans les douze prochains mois, voire se réorienter complètement dans une autre branche.
Un vrai jeu de chaises musicales qui a de quoi donner des insomnies à n’importe quel responsable RH !
Comment retenir et fidéliser ?
Dans la plupart des cas, c’est désormais le salarié qui a davantage les cartes en main et l’entreprise qui doit le séduire. Pour cela, il existe au moins trois axes de réflexion.
Les formations individualisées
Donner la possibilité aux collaborateurs d’enrichir leurs connaissances et de les mettre au service de leur entreprise est une excellente manière d’attirer des talents motivés et de leur donner envie de rester. Le bon équilibre entre un tronc commun de connaissances à maîtriser et des modules d’e-learning ultra-personnalisés est à trouver pour construire une “learning culture” efficace sur le long terme.
La start-up iAdvize est même allée jusqu’à créer des groupes de codéveloppement en présentiel ou à distance sur des thématiques ou des populations ciblées, comme les commerciaux ou les chefs de projet, avec pour objectif d’apprendre « juste ce qu’il faut » sans passer à côté de l’essentiel.
Offrir des possibilités de mobilité interne
C’est un critère important pour plus de 68 % des candidats en France en 2021. Si j’ai l’espoir que ma fonction évolue à court ou moyen terme, alors j’ai davantage envie de rester dans la même entreprise.
Avant la crise sanitaire, les promesses de mobilité concernaient beaucoup l’étranger ; aller travailler à Manhattan ou à San Francisco était une récompense alléchante et permettait une vraie mixité des équipes. Aujourd’hui, les entreprises doivent gérer tant bien que mal la frustration de ceux qui sont obligés de revenir en France et celle de ceux qui ne peuvent pas partir. La mobilité doit donc se penser à travers l’exploration de fonctions transverses ou de missions inédites et motivantes.
Suivi RH en temps réel
Terminé, l’entretien de fin de trimestre et les cases à cocher sur la feuille d’évaluation. Pour retenir et fidéliser ses collaborateurs, il faut être à leur écoute en permanence, anticiper leurs besoins et ne pas attendre que les mauvaises nouvelles — comme une lettre de démission — arrivent sans qu’aucun signe avant-coureur ait été détecté.
Après sa fusion avec KLM, Air France a bien compris cet enjeu. La compagnie aérienne a mis en place un dispositif bottom-up comprenant des séminaires d’échange avec des salariés de tous niveaux, des ateliers participatifs, des discussions sur les réseaux sociaux internes, des enquêtes et une collecte d’idées via différents vecteurs (DIP, boîtes mail…) afin d’identifier les signaux forts et les signaux faibles en provenance d’équipes nouvellement formées.
Dans le même esprit, AXA, avec My Little Paris, a par exemple créé un lieu éphémère où les femmes parlent d’empowerment, de création d’entreprise ou de réseaux. Le groupe a aussi lancé, avec Elle Active, des podcasts autour de conseils pour monter une entreprise, soigner son image ou négocier son salaire.
Conclusion : La guerre des talents est bien réelle et, au vu des changements sociétaux et démographiques en cours, elle ne peut que s’intensifier. Seule une Employee Value Proposition (EVP) concrète, assumée et validée permettra de garantir l’engagement réel de vos talents.
Auteur(s)
- Sarah Akel
Rédactrice en chef de Change the Work, j'explore le travail sous toutes ses coutures en espérant montrer l'importance du métier RH dans l'entreprise de demain...