Risques psychosociaux au travail : ce que nous enseigne Yves Clot

” C’est à partir du moment où on ne peut plus jamais prendre son travail à cœur, que les risques sur la santé psychique et mentale augmentent “ prononce Yves Clot, psychologue du travail, le 12 septembre 2013, dans une conférence à Metz.

À la suite des suicides en entreprises, et de la montée des différentes maladies du travail, les questions de la souffrance et du mal-être dans l’exercice des métiers ont refait surface en France, faisant réagir l’État, les syndicats, les économistes, psychologues, philosophes, et sociologues du travail. Vu la multiformité des entreprises, la variété des postes et la diversité des situations de travail, les facteurs de risques psychosociaux ne sont pas les mêmes partout.

Cependant, où qu’ils soient, ils ont un point en commun : ils sont présents, et se manifestent. Les repérer, les mesurer et les traiter constitue une urgente nécessité, l’appel à l’expertise devient donc nécessaire à l’heure où la question du  ” comment ? ” se pose. Publié en 2010, ” Le travail à cœur : pour en finir avec les risques psychosociaux ” est un livre de circonstance, un essai dont la plume est stimulée par la série d’événements tragiques qui a eu lieu dans le domaine du travail quelques mois avant sa sortie.

Toujours d’actualité, le sujet des risques psychosociaux continue à faire débat. Comment l’ouvrage d’Yves Clot traite-t-il de cette problématique ?

Risques psychosociaux au travail : d’où proviennent-ils ?

Selon Yves Clot, le rendement est l’objectif premier de ces entreprises étudiées.

Réalisation de soi, satisfaction des aspirations, quête de sens, accomplissement et fierté : voici ce que représente le travail pour les Français qui, pourtant, souhaitent voir diminuer la proportion que cette activité occupe dans leurs vies.

À l’origine de ce paradoxe figure un malaise constitué de facteurs psychosociaux subis à cause des conditions de travail détériorées, et d’une organisation inadaptée. Les pouvoirs publics, les spécialistes, et les dirigeants d’entreprises, dans l’urgence, se sont empressés de trouver le moyen de gérer ces risques et ont fourni des solutions qui s’avèrent être inefficaces selon l’auteur Yves Clot, puisqu’elles traitent les conséquences et non les causes à partir desquelles elles sont produites.

En plus de ses recherches théoriques, l’auteur fait une immersion sur le terrai pour aller à la rencontre des situations singulières qui peuvent subsister dans le monde du travail, notamment avec les employés de l’usine LU rachetée par BSN, les guichetiers et les agents de La Poste, les salariés de France Télécom, les agents de force commerciale, les enseignants de l’institution scolaire, les acteurs judiciaires et la loi Perben II, les soignants des hôpitaux, et les conducteurs de trains de la SNCF.

S’il réunit ces exemples, c’est pour pointer du doigt les problèmes de perte de sens, de consciences professionnelles, d’éthique de vie et de considération de soi. Pour une recette catastrophique, mélangez ce tout avec un manque de dialogue au niveau de la ligne hiérarchique, un manque de temps pour la reconstruction nécessaire des valeurs après chaque réorganisation, un manque de ressources, et une intensification du travail. Vous ne rêvez pas : ces cas existent encore, dans de maintes entreprises dont, certaines mentionnées ici font toujours partie.

Enfin, ce que constate Yves Clot dans son ouvrage, c’est que le rendement est l’objectif premier de ces entreprises étudiées, et elles seraient justement prêtes à en payer le prix qu’il faut pour l’accomplir. L’exemple de la discussion entre les guichetiers de la poste et leurs formateurs sur les niveaux de ventes exigées (par tous les moyens) ou encore du chirurgien forcé de suivre le nouveau système de tarification des hôpitaux aux dépens de soins adéquats qu’il faudrait accorder au patient soulignent ce fait. Mais comment ne pas s’interroger  sur le lien étroit qui existe entre la santé au travail et la performance des salariés ?

Or, les objectifs des travailleurs ne vont pas forcément de pair avec ceux de l’entreprise. Au-delà de la nécessité de travailler pour une survie économique existe la quête de sens, dans la mesure où le travail est vecteur de la réalisation de soi. Comme le disait Alexandre Kojève :

L’homme qui travaille reconnaît dans le monde effectivement transformé par son travail, sa propre œuvre : il s’y reconnaît lui-même, il y voit sa propre réalité humaine, il y découvre et y révèle aux autres la réalité objective de son humanité, de l’idée d’abord abstraite et purement subjective qu’il se fait de lui-même.

Risques psychosociaux au travail : comment réagissent ceux qui en sont victimes ?Risques psychosociaux au travail : comment réagissent ceux qui en sont victimes ?

Les manifestations d’un mal-être au travail ne manquent pas : le burn-out, la dépression, et d’autres conséquences aussi néfastes que nombreuses.

Ceci dit, d’une certaine façon, à travers ce livre, Yves Clot ne représente pas ces travailleurs souffrants de risques psychosociaux comme des personnes inertes, inconscientes des risques qu’elles courent, ou des maladies qu’elles développent au travail. Bien au contraire, elles sont en mesure de réfléchir et d’interpréter ce qui leur arrive. Ces individus sont capables d’intercepter, d’analyser, de déduire, et finalement de réagir face à ces situations, et ne sont donc pas en situation totale d’impuissance.

D’ailleurs, l’auteur mentionne à plusieurs reprises le mouvement secret de contre-effectuation emprunté au sociologue Philippe Zarifian qui le définit comme un processus à travers lequel un individu subit d’abord un événement, puis se l’approprie en lui donnant un sens et en le transposant, à sa manière, pour pouvoir le métamorphoser. Le tout, évidemment, selon son potentiel et sa capacité d’action, mais aussi ses éthiques. L’exemple des salariés de France Télécom illustre ce propos puisqu’ils n’entrent pas dans ” la course aux débits d’appels ” pour ne pas devenir des robots répétant tout le temps le même script à tous les usagers, et sauvegarder leur qualité de service. Ce mouvement peut également être repéré chez les agents qui commercialisent le service de l’entreprise, et qui revendiquent l’utilisation du terme ” conseiller ” à la place de ” vendeur “.

Le travail a coeur; Yves ClotLe travail à coeur, pour en finir avec les risques psychosociaux – Yves Clot 

Auteur(s)

  • Passionnée par les innovations managériales et les éternelles révolutions du monde du travail, j'accompagne les sociétés dans l'évolution de leurs organisations et leurs pratiques. Bref, Tocqueville le jour, Hemingway la nuit !

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