Gig Economy : quand la montée du travail temporaire chamboule les RH

La Gig Economy va chambouler le métier de RH

En vogue aux Etats-Unis, une nouvelle façon d’employer des ressources est en train de s’implanter en Europe : la Gig Economy. Selon les chiffres, elle englobe jusqu’à 15% de la population active. Cette difficulté à considérer l’importance de cette tendance s’explique en partie par la manière dont cette économie se définit, permettant d’y associer beaucoup de travailleurs. La Gig Economy est en effet définie comme étant « une économie prédominée par des travailleurs exerçant sous des contrats temporaires ou travaillant sur plusieurs projets tous payés séparément plutôt que de travailler pour un employeur régulier. »  

Les prémices de cette économie s’observent dans la transition du modèle économique actuel de la plupart des organisations. Le philosophe Deleuze présente cette transition par le passage d’une économie de stock à une économie de flux. Ce passage engendre donc des changements majeurs dans l’organisation des entreprises à tel point que les personnes travaillant dans ces dernières peuvent être soumises à ce même type de logique. Ces changements majeurs impactent tant la capacité organisationnelle des organisations que leur habilité à proposer des services de plus en plus personnalisés dans des délais de plus en plus courts. Cette Gig Economy symbolise donc l’évolution à un extrême, de notre société et surtout du marché du travail, notamment celui des cadres. 

De par les entretiens menés avec d’autres professionnels RH, j’ai pu constater les ajustements nécessaires pour maîtriser cette nouvelle économie tout en mettant en place des dispositions pour que les organisations s’adaptent à ces mutations.  La considération du marché du travail actuel à travers les différentes formes d’emplois et l’évolution des compétences RH à moyen terme sont autant d’éléments qui fragilisent le modèle triangulaire actuel : CDI / CDD / Intérimaire longtemps en place.  

Une transformation du marché du travail ?

En 2017, une étude de la DARES mettait en perspective les recours au CDI et au CDD. La part de la population française en CDI est passée de 94% en 1988 à 88% en 2017. Le taux d’entrée en CDD a quant à lui été multiplié par 4. En parallèle, “la durée moyenne des CDD a été divisée par un peu plus de deux depuis le début du millénaire, passant de 112 jours en 2001 à 46 jours en 2017”.

Ces chiffres démontrent une évolution de l’emploi en France. Les organisations délaissent graduellement le CDI pour employer les personnes pour une plus courte durée. De fait il est aujourd’hui difficile pour les entreprises de se projeter sur le long terme. Nous assistons également à des évolutions technologiques majeures qui tendent à modifier ce que nous faisons au travail. 

Il est donc plus prudent pour les organisations de recourir à des personnes uniquement lorsque leur activité le leur permet. Dès lors, les employeurs cherchent des personnes proposant les compétences nécessaires à un instant donné. La logique du développement du collaborateur est moins centrale car moins pérenne dans ce contexte. Or avec un taux de chômage inférieur à 5% les cadres ont pris une position de force dans leur rapport avec les organisations. Ces derniers sont devenus rares et les entreprises redoublent d’effort pour les maintenir dans leur rang. Cet antagonisme a de quoi faire sourire mais il demeure une réalité. 

Outre la nécessité croissante de personnes formées, il n’en demeure pas moins que le digital a un impact conséquent sur la manière dont nous travaillons et dont nous allons être amenés à travailler. En effet la forte automatisation des tâches oriente les personnes vers des métiers nécessitant des compétences de planning, de coordination et de structuration de projet

Si une partie des salariés s’orientent vers ces métiers de gestion de projet, il n’en demeure pas moins qu’une majorité se spécialise sur des missions spécifiques pas encore remplacées par des processus d’automatisation. Ces derniers sont donc obligés de se former continuellement afin de constamment être complémentaire à l’implémentation de nouveaux procédés.  

D’un projet à un autre ? 

Gig Economy : tous en mode projet ?

Les entreprises ont tendance à recruter des personnes sur des projets précis du fait de l’instabilité du marché et du fameux monde VUCA dans lequel nous vivons. Le gouvernement, conscient de ce changement de prisme, a mis un place un nouveau statut : le CDI de chantier. Il s’agit d’un CDI basé sur une mission longue destinée au secteur du bâtiment. Toutefois cela ne concerne qu’un secteur d’activité. Les autres secteurs doivent alors faire évoluer leurs employés en CDI en les développant pour les rendre autonomes sur des nouvelles technologies afin d’accompagner l’évolution de leurs activités.  

Par ailleurs, des nouvelles formes d’emplois semblent se détacher au profit d’une plus grande flexibilité dans la gestion des ressources humaines et de leur optimisation afin de satisfaire au mieux les besoins des organisations. 

Le traditionnel marché de l’intérim n’a pas réussi à se réinventer avec le temps et ce malgré les dispositions de la Loi Rebsamen. Le recours à l’intérim est motivé par les mêmes raisons. Les agences d’intérim n’ont pas su faire évoluer rapidement leur service dans l’ère du digital. Ainsi, même si le marché intérimaire français reste le plus conséquent en Europe, ce dernier se voit grignoter par d’autres acteurs. 

Les cabinets de conseils ont quant à eux su se positionner rapidement sur le secteur des nouvelles technologies orientées vers la digitalisation des organisations. Leur business model leur permet de maintenir la qualité de leurs ressources internes. De fait les formations sur les nouvelles technologies coûtent chères. Pour eux, il est facile de financer ces formations, les coûts liés étant indirectement refacturés aux clients. Les cabinets ont donc une facilité pour constamment se réinventer en modelant leur compétence organisationnelle. En parallèle ce système leur permet d’attirer dans leur effectif une part grandissante de jeunes diplômés en recherche d’expériences diversifiées et de progression rapide. Toutefois les contrats cadres qui entourent ce marché restent un peu flous. 

Une autre solution tend à voir le jour : les plateformes de mise en relation. Encore très discrètes en raison de leur manque de maturité, elles proposent aux entreprises une mise à disposition de freelances ayant une expertise très précise. Même si aucune plateforme n’est encore arrivée à se positionner comme référence, certaines s’imposent comme leader sur des marchés de niche. Ainsi, des solutions comme la Crème de la Crème accompagnent les étudiants pour se lancer dans le freelancing en sélectionnant les prétendants par écoles. D’autres comme YOSS, dans laquelle des géants comme Microsoft et Axa ont investi, et HIRED se focalisent sur des métiers nouveaux en lien avec les nouvelles technologies. Même si les grosses entreprises sont encore un peu frileuses à l’idée de se lancer avec cette tranche de prestataire, les TPE et PME s’en donnent à cœur joie. L’ancienne agence de portage salariale paraît désormais bien loin. 

A travers ces plateformes, les entreprises peuvent finement sélectionner un freelance qui détient une compétence spécifique et l’associer à un projet donné au moment le plus opportun. A la manière de l’apparition des Pigistes en 1974, ces autoentrepreneurs semblent avoir de beaux jours devant eux. 

Quelle place pour les RH ?

Face à l’évolution de la société et la multiplication des possibilités de recourir à des ressources humaines supplémentaire, il est important pour les services RH de démontrer les compétences qu’ils détiennent. Outre la gestion du changement et la coordination des différents processus rythmant la vie d’un salarié, la question fondamentale est de savoir comment les services RH vont adapter ces derniers. De fait, dans cette nouvelle ère, les missions contribuant à l’atteinte de l’objectif de l’organisation seront effectuées par un portfolio de ressources de plus en plus varié et de moins en moins partie intégrante de l’organisation. Pour gérer ces nouvelles ressources, certaines entreprises ont déjà pris les devants en dédiant des personnes pour s’occuper de ce type de ressources : les Chief Freelance Officer. De fait, ces travailleurs temporaires entrent dans l’entreprise pour une durée très volatile, sans perspective à long termes, demandent une attention différente d’un collaborateur faisant directement partie de l’organisation.

Face à ce type de changement en cours, il faut que la fonction RH soit de plus en plus empreinte d’une logique de service client. Ce positionnement en interne permettra d’accroître son influence sur les différents processus impactant le salarié. Il n’est pas anodin de voir que les nouvelles tendances RH s’inspirent pour beaucoup du domaine marketing à l’instar de la « Marque » employeurs et la satisfaction employé. Il faut que la fonction RH créée de la valeur pour l’entreprise et accompagne les besoins de l’entreprise. 

Elle doit aussi prendre à bras le corps l’arrivée des nouvelles technologies. En effet ces dernières telles que la maîtrise des données (Data analytiques) ou l’intelligence artificielle offrent une connaissance plus fine des salariés. Ces connaissances peuvent aider les organisations à mieux comprendre leur indicateur de performance et à agir en conséquence. 

Une autre étude menée par Shipton est également intéressante à considérer. Pour Shipton et son équipe, le département RH est lui-même prédicteur d’innovation. Leur étude a démontré que plus les ressources humaines sont engagées dans des mécanismes d’innovation, plus les autres fonctions innovent. Il faut donc que le département des ressources humaines comprenne les opportunités données par les nouvelles technologies et les considèrent dans leur propre développement.

Il peut donc paraître urgent désormais pour les entreprises d’effectuer des virements stratégiques dans la considération de leur structure de workforce actuelle. L’accélération des nouvelles technologies amène un besoin accru de la formation des salariés à ces dernières. Cela entraîne des dépenses conséquentes mais primordiales pour l’entreprise. Elle amène dans son sillage la question de ses compétences organisationnelles et l’optimisation des ressources disponibles. La mise en place de méthodologie de projet propre à une organisation est donc primordiale afin d’affiner les analyses de besoins en compétences et des ajustements organisationnels qui en découlent.

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Auteur(s)

  • Curieux invétéré, j’aime par-dessus tout me laisser guider dans l’univers de mes interlocuteurs. Mes réflexions portent sur les innovations en ressources humaines, l’évolution des méthodes de travail et le développement personnel… avec un soupçon de Tech !

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