Se rendre au travail a-t-il encore un sens ?

Le fait d'aller au travail a-t-il encore un sens ?

Depuis peu je comprends le fameux adage qui traverse les temps pour toute personne travaillant aux alentours des métropoles, Paris ne faisant plus figure d’exception. « Métro, Boulot, Dodo » rythme mes journées. Ce temps passé dans les transports me pousse quotidiennement à me poser la question suivante : pourquoi est-ce que je VAIS travailler ? En effet depuis bien longtemps le fait d’aller dans un lieu autre que son domicile pour travailler est la norme. Normal me direz-vous. Mais pour une partie grandissante de la population, travailler signifie être connecté à son ordinateur.

Ce phénomène n’a fait que croître au fil des années via la globalisation des entreprises, en laissant place à des structures décentralisées profitant de divers avantages géographiques pour développer leurs activités. Cette globalisation s’est accompagnée d’un phénomène donnant plus d’ouverture à de nouvelles méthodes de travail.
En effet, les différents réseaux d’entreprises arrivent à maturité. Ils permettent de communiquer, d’échanger des documents et de remplacer dans une certaine mesure les réunions à n’en plus finir. 

Des entreprises en plein essor telles que Slack ou Discord ont poussé le géant Microsoft à lancer son nouveau service via l’outil Teams 365.  Teams pourrait être un argument pour contraindre les organisations à libérer les salariés et les laisser travailler où bon leur semble tant que cela n’altère pas leur efficacité et garantit l’efficience de leur équipe. Ce biais un peu facile du « tout numérique » comme réponse à notre question n’est sans doute que lien commun des mutations en cours…

Se rendre au travail est toujours normal

Le déménagement du siège social de LCL en 2012 n’a fait qu’ouvrir la voie aux autres entreprises du CAC 40. Les nouveaux campus d’entreprises françaises fleurissent dans le grand Paris. Des entreprises comme la Société Général ou Danone ont également ouvert ces dernières années des grands campus à la mode américaine. Ce changement de localisation est souvent synonyme d’un allongement du temps de trajet pour les collaborateurs se rendant à ces nouveaux camps.

Toutefois, il est souvent accompagné par la mise en place de services aux employés de plus en plus compétitifs. Il n’est plus rare de trouver un coiffeur, un service de pressing ou de gardiennage au sein de l’entreprise. 

Outre ces services on trouve bien souvent d’autres arguments pour faire satisfaire ses salariés. Les locaux sont richement décorés et le mobilier de grande qualité. Dans cette course au bien-être, le poste de “happiness officer” trouve petit à petit sa place. Dans certaines organisations, ce phénomène est devenu si exacerbé que Nicolas Bouzou et Olivia de Funès le dénoncent dans leur ouvrage “La comédie inhumaine”. Pour ces derniers, il est urgent de redonner sens au travail et surtout la manière dont ce dernier est mené en se concentrant sur la nature de ce dernier et non l’environnement dans lequel il est vécu.

Cette tendance à quitter Paris pour gagner la campagne francilienne répond à plusieurs enjeux. 
Le regroupement de différentes entités a pour objectif de casser les silos en regroupant différentes divisions – mais cela cache parfois une réalité bien plus structurelle. Eviter de faire du neuf avec du vieux pourrait-on vulgariser. 

Par ailleurs la gestion des locaux est un aspect financier important pour les organisations au regard dans leur investissement. Les bâtiments sont des coûts fixes, souvent bien difficiles à gérer dans un environnement économique incertain. En effet il est difficile de prévoir un nombre de place exact en considérant les potentiels ajustement (à la hausse ou à la baisse) du nombre de personne fréquentant les lieux. En plus de l’aspect financier, la gestion des bâtiments s’avère demander une expertise. Si vous n’y croyez pas, je vous invite à regarder les espaces collaboratifs que proposent WeWork et son impressionnante évolution. WeWork a construit son succès à travers l’ouverture d’espaces de co-working au centre des grandes villes proposant des mobiliers très fonctionnelles ouvrant différents types d’espaces. Ils ont surtout démocratisé cette tendance à faire cohabiter différentes sociétés sur des espaces communs.  En 2017, ils ont ouvert près de 90 bâtiments pour une valorisation boursière de 20 milliards d’euros. 

Un enjeu essentiel demeure. Celui de pouvoir accueillir suffisamment de salariés. Dans toutes les entreprises que j’ai fréquentées, le nombre de place disponible dans les locaux a été un enjeu. Les entreprises utilisent alors ce que les cabinets de conseil ont mis en place dans leurs structures aux alentours de 2010 : le Flex office – comprenez la suppression des places attitrées. Ce dispositif permet de maximiser l’occupation à minima de 30% sur une période lissée dans un bâtiment donné. Un premier besoin, celui du besoin d’appartenance, d’appropriation, est alors altéré. 

Les espaces de coworking se répandent partout en France

Flex’Office, Flex’Work, Flex’Time, Flex’Place : enfin de la flexibilité ! 

Conscient qu’il s’agissait d’un enjeu considérable pour les entreprises, les ordonnances Macron ont donc prévu un assouplissement du cadre légal régulant le télétravail, ouvrant le travail à distance à un rythme régulier ou non. En effet le télétravail est entendu comme « toute forme d’organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l’employeur est effectué par un salarié hors de ces locaux, de façon volontaire, en utilisant les technologies de l’information et de la communication » [L.1222-9 du Code du Travail]. 

Ce besoin de flexibilité est, de par sa définition, une notion réservée à une partie de la population. De fait, seul les salariés pouvant effectuer leurs missions à distance y ont le droit. Ce dispositif entre de plus en plus dans le cadre d’avantage accordé par les entreprises. Il est mis en avant lors des entretiens et est plébiscité par les employés. Il en devient un enjeu de marque employeur

Cette question du travailler chez soi vient remettre en question le modèle de contrôle actuel de l’entreprise sur le salarié. L’employeur se doit d’avoir pleinement confiance en son salarié. C’est donc avec un peu de frilosité que les entreprises adoptent ce dispositif, pourtant il n’est pas rare d’entendre un collaborateur vanter les mérites de sa journée de télétravail : « Qu’est-ce que j’ai bien travaillé ! J’ai pu me concentrer sur des sujets de fonds ». Malheureusement, toutes les organisations n’ont pas adopté la même logique que certaines compagnies américaines, qui laissent leurs employés travailler d’où ils souhaitent.

Toutefois, on note l’apparition de nouveaux services proposant aux collaborateurs de s’acquitter d’un ticket pour intégrer un espace de travail autre que son lieu de travail habituel. Ce service, en plus de démocratiser les espaces originellement conçus pour les startuppers et freelancers, découle d’une nécessité qui n’est pas nouvelle pour les employés. Celle de se regrouper, d’échanger, de sociabiliser avec d’autres personnes. De fait, l’entreprise reste le premier lieu de socialisation d’un individu

Au regard de l’évolution actuelle des organisations et de la densification des espaces urbains, la flexibilité que peut introduire le collaborateur devient primordiale dans la qualité de l’expérience salariée au sein d’une organisation. Le fait que beaucoup d’entreprises suivent cette tendance n’est qu’un signe que cet acquis deviendra de plus en plus une norme. Dès lors, il faut repenser l’objectif de se rendre au travail. Bien entendu, le contact physique avec d’autres individus restera une motivation première mais il faut que les organisations amènent plus de diversité. Une organisation interne et un équilibre propre à chaque organisation doit être trouvé. On peut facilement imaginer dans un futur proche, les bâtiments des entreprises uniquement comme un lieu de rencontre, d’échange et de collaboration.

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