Malgré qu’il soit reconnu comme étant un facteur puissant dans les relations sociales, l’humour est toujours sous-estimé dans son impact sur le management.
En 2012, une enquête menée par la firme britannique Officebroker.com auprès de 600 travailleurs prouve que l’humour joue un rôle important dans la relation entre le travailleur et son responsable. Elle démontre que l’humour du chef est plus apprécié aux yeux des salariés que la franchise, la confiance et le respect. Trois ans plus tard, une enquête menée par Opinionway montre que près de 90% des Français considèrent l’humour est « essentiel » à la vie en société. Il rend la vie plus agréable et permet de prendre du recul et d’exprimer des choses difficiles, notamment des injustices.
L’humour est complexe et multidimensionnel. Il est présent au quotidien dans les relations humaines et se manifeste sous forme de plaisanteries, d’histoires drôles, de rire, de taquineries. Il peut aussi prendre la forme de sarcasme, de remarques ironiques ou ridicules. Quel qu’en soit la forme, l’humour, enraciné dans les attitudes des individus, est susceptible d’avoir des implications bénéfiques ou dommageables.
Dans l’environnement de travail, l’humour est perçu comme un facteur déterminant les réponses cognitives, affectives et comportementales des employés affectant ainsi l’ambiance de travail (chaleureuse, stressée…), la productivité des salariés et la satisfaction des clients.
Le bon humour en management
L’humour est souvent perçu comme un élément positif d’influence et de performance. Avec un peu d’humour, l’équipe devient plus détendue, elle se sent bien et à un meilleur moral. Il a donc un effet positif sur l’ambiance et améliore la relation entre les salariés quel que soit le contexte. Ainsi, il a deux impacts :
D’une part, il permet de créer un lien avec les collègues. Un manager apprécié a plus de chance d’être suivi et écouté par ses collaborateurs.
D’autre part, avec un comportement positif, il est plus aisé d’imposer une demande à son équipe. En d’autres termes, le message humoristique suscite moins de réactions agressives ou de rejets et fait passer la demande plus facilement. Il apaise donc les tensions et peut être utile pour mener des négociations ou gérer des conflits en faisant passer des messages importants plus facilement mémorisables.
En effet, le trait d’humour est une pratique très utilisée par les hommes politiques qui en faisant passer un message fort, emploie ce moyen pour bloquer des réactions négatives ou agressives.
Sachant que l’humour rend la situation professionnelle moins négative, il a des effets à long terme. Il réduit les pathologies du travail : le rire permet de diminuer le stress (l’Institut national recherche et sécurité estime que le stress occasionne 50 à 60% des journées de travail perdues au sein de l’Union européenne), il apaise les tensions et l’épuisement professionnel (burnout).
En outre, il génère des bienfaits physiologiques et psychologiques : il crée un sentiment de bien-être et de satisfaction du salarié, il dédramatise les situations, il permet une prise de recul, il suscite l’entente mutuelle et la cohésion de l’équipe et permet de stimuler la créativité… De même, il est prouvé scientifiquement que le rire irradie la biologie, produit la sérotonine et la dopamine qui, une fois libérées, créent plus facilement les synapses et stimulent la partie pensante du cerveau. En somme, le rire générant de l’humour crée une ambiance saine et paisible au travail.
On a tendance à croire que l’humour est une menace aux règles de l’entreprise, une forme de contre-pouvoir. Selon l’humoriste français Guy Bedos, « l’inverse de l’humour, ce n’est pas le sérieux, c’est la soumission ».
Pour Serge Grudzinski, président d’Humour Consulting Group : « Se demander si humour et management font bon ménage, c’est un peu comme si on s’interrogeait sur la compatibilité de la parole avec le management ». Pour lui, c’est est avant tout un langage, il doit être agréable et bienveillant pour tisser des liens avec les employés et resserrer les rangs. Sa pratique est donc importante au travail. Or, le dirigeant doit avoir une intention positive, loin des blagues lourdes, discriminatoires ou blessantes. Sa mauvaise intention peut causer des effets néfastes : il peut casser les cadres, les codes et les gens.
A titre d’exemple, si le manager fait de l’humour aux dépens d’un employé, ceci peut être destructeur et répréhensible. Donc, l’humour est essentiel mais doit être utilisé sous certaines limites.
Quelques pratiques mises en place
Le rire en entreprise est une pratique courante aux Etats-Unis, au Japon, dans les pays Scandinaves et au Canada. Créant des bienfaits aux salariés et à l’entreprise, l’humour s’impose comme une arme managériale.
Ainsi, pour motiver ses employés, l’entreprise peut aller jusqu’à investir dans des séances de coaching en yoga du rire. Fabrice Loizeau, formateur à l’Institut français du yoga du rire, a vu une demande croissante de la part des entreprises. Cet institut propose une forme de team building née des travaux d’un médecin indien. Fabrice Loizeau explique que le fait que les employés rient ensemble durant 15 minutes par jour pendant 15 jours, augmente leurs compétences et leurs qualités relationnelles entraînant ainsi une amélioration de l’efficacité générale du travail.
L’entreprise peut aussi faire appel aux prestations d’un humoriste professionnel. C’est le cas de « Management by Smiling Around », de l’Humour Consulting Group : ce cabinet crée des audits d’entreprises pour les accompagner en dénouant, par le rire collectif, des situations complexes liées au changement.
Ayant l’objectif de faire rire et uniquement rire, l’ex-consultant en stratégie Serge Grudzinski a pu séduire des entreprises telles qu’Axa et Microsoft. Loin d’éviter les sujets qui fâchent, le consultant se focalise dans ses shows – loin de la moquerie – là où ça fait mal : luttes de pouvoir, conflits entre service, exigences de la hiérarchie ou perte de sens. Son but est de « guérir, non de blesser ». Notons que sa première présentation humoristique s’est déroulée chez Axa sur la demande de son secrétaire général. Plus tard, le même groupe a fait appel à lui pour renforcer l’ardeur commerciale de ses conseillers patrimoniaux. Idem pour Microsoft qui lui a demandé d’inciter 1 000 commerciaux à développer leurs relations avec les grands groupes. De même, J.C. Decaux, qui faisait face à des difficultés managériales liées à sa très forte culture hiérarchique a fait appel à l’humoriste.
Une nouvelle approche managériale : la « Fish Philosophy ». Elle est structurée autour de quatre piliers qui développent la performance collective : « choisir son attitude » en arrivant le matin avec le sourire, dans la joie et la bonne humeur ; « être présent » en se connectant réellement à chaque personne rencontrée ; « jouer » en trouvant une façon de faire son travail dans le plaisir et l’amusement ; « illuminer la journée de quelqu’un » en contribuant à donner de la joie autour de soi.
Cette nouvelle approche se déploie en France et dans le monde dans toutes sortes d’organisation. Elle contribue à développer la performance des salariés dans un environnement zen par la joie, la bonne relation entre collègues et la créativité.
Dénonçant la transformation de l’entreprise – dans laquelle les salariés ne communiquent plus que par écrans interposés (même en open space) – en un « lieu de tristesse et de tension » et afin de cultiver l’humour dans l’entreprise, Sylvain Breuzard, PDG de Norsys, a créé en 2012, le festival de l’humour. Sur la base du volontariat, les salariés se transforment en acteurs et peuvent présenter des sketchs. Par exemple, le PDG raconte qu’en 2014, il a passé la journée au bureau avec deux chaussures différentes. « Nous organisons chaque année un festival de l’humour avec des manifestations et des happenings de ce genre » explique-t-il en énumérant une idée faite durant les années : celle d’un concours de photos décalées. « Cela ne nuit pas à notre travail, bien au contraire. Ce genre d’initiative suscite du sourire mais surtout des échanges, du dialogue mais aussi du bien-être… et de la productivité » annonce le patron de la société.
En conclusion, l’humour permet d’apaiser voire même d’éviter la colère, la tension, la frustration et le stress, tous facteurs d’agressivités qui peuvent s’avérer être destructifs et peuvent rendre le management déshumanisé. La science démontre l’influence directe de la vie émotionnelle, et plus particulièrement de la joie, sur la santé physique. Il est important de noter que mise à part des activités dédiés à promouvoir la culture de l’humour, des petits gestes simples et spontanés peuvent suffire pour faire rire les employés (des émoticônes drôles dans les e-mails ou l’affichage d’affiches humoristiques sur les murs de bureau…).