Compétences techniques dites « Cœur de métier » versus compétences comportementales. Qui des deux l’emportera ? Pouf, pouf ce sera toi ! Permettez-moi l’analogie avec cette comptine après deux mois de continuité pédagogique à la maison !
Dans le secteur de la santé lorsque l’on nomme le cœur de métier c’est pour signifier le domaine des sachants : les compétences médicales, pharmaceutiques, juridiques et les connaissances techniques liées à la compréhension des systèmes de santé. J’identifie une opposition nette entre ces connaissances techniques considérées comme essentielles à l’organisation et les fonctions support dont personne ne sait définir le contour de ce « support ». Les fonctions support sont un véritable pêle-mêle et même un sacré fourre tout. On y trouve : la logistique, les SI, l’accueil physique, les ingénieries de projet, le contrôle interne, les achats, la comptabilité, la communication et les RH, mon domaine de prédilection ! « Fonctions support » je déteste tellement ce terme « support », je préfère le mot appui, « fonctions d’appui » comme appui à l’organisation, au développement des compétences, à la transformation des métiers. J’ai donc décidé de le bannir de mon vocabulaire. J’ai pu constater au fil du temps que cette sémantique « appui » s’est diffusée en interne. La question sous-jacente qui continue à m’interroger reste : est-ce que ce nommage est une caractéristique du secteur public ? Un élément de notre culture d’entreprise ?
Ma croyance (il en faut quelques-unes quand on est professionnelle RH !) est que derrière ce mot « appui » se niche le point de jonction et d’intérêt entre mes deux domaines de compétences : les RH et la com, toutes deux des fonctions d’appui à l’organisation. Avec un master RH et un master Com et 10 années dans chaque activité, je continue à apprendre de cette double expérience. Ce n’est pourtant pas très sérieux de vouloir exercer en RH en venant de la com, voyons ! La famille des « communicants » trouve généralement « la famille des RH » trop formelle et rigide. Les professionnels RH trouvent généralement les communicants débordant de créativité mais sans méthode. Il s’agit évidemment de stéréotypes mais à la lumière de mon expérience, j’ai pu constater que les modes de coopération ne sont pas immédiatement spontanés entre ces deux familles professionnelles.
« Dans le vif du sujet, sans tarder »
L’action se déroule à l’ARS fin avril. Est-ce utile de préciser l’acronyme ARS ? Allez pour tous ceux qui auraient raté la crise des derniers mois, c’est possible car trop d’info tue l’info, je donne une petite explication de texte. ARS comme Agence Régionale de Santé. Quelle couverture médiatique brutale et soudaine pour une structure côtoyant d’ordinaire si peu le grand public mais travaillant pour le déploiement des politiques de santé au plus près des professionnels de terrain. Le déclenchement de l’épidémie de Covid a braqué les projecteurs sur les ARS mettant en lumière leur rôle prépondérant en matière de gestion de crise.
Fin avril, je rejoins donc, armée de mes soft skills, la cellule « Eléments de langage » (EDL) du Service communication. Je conserve la moitié de mon temps aux RH. Grand écart me direz- vous ? Nope, plutôt l’impression de rentrer au cœur de la gestion de crise.
Comment se glisser dans une activité nouvelle sans ralentir le dispositif déjà en marche ? Ma mission consiste à contribuer à la coordination des canaux de contact (N° vert, mail, réseaux sociaux), et à gérer les questions mails entrantes de tous les publics sur la boite mail dédiée : professionnels libéraux, usagers du système de santé, professionnels de la petite enfance, chefs d’entreprise…
L’information est dense, il faut l’analyser rapidement. Les consignes sanitaires évoluent vite. En ce temps de crise sanitaire, l’organisation interne a pris un virage à 180 degrés : 95% des personnels sont en télétravail permanent contre 25% début mars un jour par semaine seulement.
Après plus d’un mois de double activité, quel bilan et quels enseignements ? J’identifie trois sujets que je souhaite partager avec vous :
o Connaître les métiers et les domaines d’expertise constitue un atout considérable. Connaître les personnes c’est encore mieux. Avec ma casquette RH, j’ai recruté un bon nombre de collaborateurs et je les accompagne pour développer leurs compétences. J’ai donc pu me situer rapidement dans l’organisation déployée pendant la crise au delà du formalisme de l’organigramme. « Intéressez-vous vraiment à ce que font les gens » pour comprendre votre organisation. Certains RH ne connaissent des métiers que leur fiche de poste, encore faut-il qu’elle soit bien rédigée.
o Adaptabilité et priorisation, voici les compétences comportementales qui m’ont été les plus utiles. Je découvre des savoir-faire que j’ai pu m’approprier et adapter. Mais je perds aussi du temps à doublonner une transmission d’information. Peu de procédures mises à jour sur les circuits d’information car dans ce cas elle serait obsolète en 4 heures, mais penser coordination, transmission, validation. Cette information est-elle validée ? Puis-je la communiquer ? Ce questionnement rythme mon quotidien. Qui a l’information, à qui sera-t-elle utile ? Il est urgent d’agir mais sans précipitation même en gestion de crise tout en gardant le tempo !
o L’expérience. La « saine » expérience c’est à dire celle acquise en testant, en faisant, intégrée dans la pensée et l’analyse… et que l’on a complètement oubliée. Je réalise que je mets spontanément en marche des réflexes acquis lors d’expériences antérieures. Acquis lors de la gestion de crise des attentats de New York en 2001 et lors du procès fleuve du sang contaminé. A cette période, je travaillais à Paris à l’Etablissement Français du Sang à la Direction de la communication. Nous avions pris l’habitude de faire la une de la presse nationale et l’ouverture du JT. Un monde où les réseaux sociaux étaient balbutiants mais la critique publique néanmoins rude. Une expérience formatrice qui m’a permis de rester stable émotionnellement en période de crise. Professionnels RH, intéressez vous au parcours de vos collègues, à leur histoire professionnelle. L’expérience est parfois considérée comme un poids mais elle constitue aussi une richesse dans la complémentarité des équipes.
Le gouvernement vient de communiquer sur la période de déconfinement après le 2 juin. A l’ARS, les questions légitimes de valorisation, d’investissement et de reconnaissance individuelle ou collective vont rapidement se poser.
Bientôt, je reprendrai exclusivement ma casquette RH. J’ai hâte de relancer les travaux initiés avec la ligne managériale et stoppés net en mars par le déclenchement de la crise.
Dans ce monde que l’on qualifie « d’après », comment parviendra-t-on à définir une vision commune des compétences comportementales ou cœur de métier, le niveau de maîtrise et l’évolution attendue ? Comment la ligne managériale a-t-elle perçu et accompagné les équipes mobilisées dans d’autres unités ? Capitalisons sur cette expérience inédite pour faire le pas de côté et prenons le temps d’observer en écoutant à la fois les fonctions d’appui et les fonctions techniques sans les opposer ou limiter leur rôle comme dans le monde « d’avant ».
Auteur(s)
- Karin Monflier
Karin travaille dans la Direction des Ressources Humaines d'une Agence Régionale de Santé.